Patrick Wald Lasowski est un spécialiste de la littérature libertine du XVIIIe siècle ainsi que de la littérature du XIXe siècle. Il enseigne à Paris VIII. Lorsque j’ai entendu parler pour la première fois de lui et de son style si particulier, et que j’ai vu la liste de ses ouvrages, je me suis dit : « Il me les faut tous! ».
J’ai commencé il y a 2 ans avec Le traité des mouches secrètes, et je poursuis donc avec celui-ci. Je pense que je continuerai ma découverte de sa bibliographie tout doucement, pour que, pendant longtemps, je puisse me dire qu’il m’en reste encore à lire.
Au temps des libertins, lorsqu’un homme cherchait à séduire une femme et que celle-ci considérait sa démarche d’un oeil favorable, elle ne cédait pas d’un coup mais lui accordait, plus ou moins lentement ou rapidement, ce qu’on appelait des faveurs, c’est à dire essentiellement la permission de se livrer sur sa personne à des baîsers ou des caresses, de plus en plus intimes. Le jeu de la séduction se couplait ainsi à des sortes de préliminaires. Très logiquement, l’ultime faveur est l’acte sexuel. C’est une expression que j’ai toujours trouvé très jolie (comme beaucoup de circonlocutions de cette époque) et c’est ce qui a motivé mon choix de ce livre, dans cette bibliographie où tout me fait envie.
Comme Le traité des mouches secrètes, c’est un petit essai totalement atypique. D’ailleurs, en relisant ce que j’ai écrit sur celui-là, je me rends compte que, sur beaucoup de points, je pourrais dire la même chose à propos de celui-ci. Il se lit très vite, d’une part parce qu’il compte à peine une centaine de pages, et d’autre part parce qu’il est d’un accès très facile.
L’auteur y disserte tour à tour des pratiques amoureuses, souvent à travers l’évocation de romans, et des différentes acceptions du mot faveur : celle évoquée plus haut, évidemment, mais aussi les rubans, les nombreux écrits du temps « en faveur de » quelqu’un ou quelque chose, le fait d’être en faveur ou en défaveur. Il soulève des interrogations telles que quel est le délai pour obtenir l’ultime faveur ou celle-ci est-elle un gage d’amour? Il va même au-delà de l’ultime faveur, s’intéressant aux pratiques en vogue parmi les libertins du XVIIIe siècle : le fouet et la sodomie, qu’il qualifie joliment d’extrême faveur.
Du fait de cette multitude d’aspects abordés et de la façon dont il passe de l’un à l’autre, l’ouvrage est assez étourdissant. Je n’ai pas eu le sentiment d’y apprendre grand-chose, mais je suis bien contente de l’avoir abordé avec justement suffisamment de connaissances de base pour ne pas avoir eu à attendre d’y apprendre quelque chose, car je crois qu’alors je me serais sentie complètement perdue.
Au début, mon esprit cartésien a souffert de peiner à trouver une ligne directrice et de cette sensation d’étourdissement. Puis, peu à peu, j’ai eu le sentiment d’être transportée dans un salon de l’Ancien Régime, où les propos, même sérieux, se devaient d’être légers, où les traits d’esprits et le sens de la répartie étaient hautement prisés et où la conversation était un art. A partir de ce moment, j’ai progressivement réussi à lâcher priser et à cesser de chercher une progression logique, j’ai admiré le talent de l’auteur de parvenir à faire revivre ainsi un temps révolu, et j’ai savouré cette langue et cette atmosphère dont j’aime tant à percevoir un petit quelque chose dans mes lectures… et j’ai regretté que le livre soit si court!
Il me permet d’enregistrer in extremis une participation dans la catégorie « Les instituteurs immoraux » du challenge Badinage et libertinage de Mina… que j’espère vivement qu’elle va prolonger parce que je suis loin d’avoir épuisé tout ce que j’ai envie de lire sur le sujet!
J’ai l’impression d’avoir lu un article que j’aurais pu écrire : l’appréciation de cette jolie expression et d’autres de l’époque, l’esprit cartésien dérangé par l’absence d’une ligne directrice et le fait de ne pas y avoir appris grand-chose. Ta comparaison avec une conversation mondaine a achevé de me convaincre, je le veux ! :) En le lisant dans un contexte différent de la première fois (pour mon mémoire, donc en recherchant des informations), je pense que j’apprécierai mieux la plume de cet auteur et son ton badin.
Merci pour cette nouvelle participation. je n’oublie pas non plus notre LC et prolongerai le challenge de quelques mois ;)
Ca c’est une bonne nouvelle! Je vais essayer de me remuer et de profiter de ce délai supplémentaire pour lire un ou deux trucs de plus.
Oui, nos ressentis sont souvent semblables concernant ces lectures. C’est pratique. Comme ça je sais que je peux m’appuyer sur tes ressentis pour déterminer si je dois allonger ma LAL ou non. :-)
Est-ce que le chemin jusqu’à l’ultime faveur était balisé, jalonné d’étapes « obligatoires » ?
Mina serait mieux placée que moi pour te répondre. Pour ma part, je ne pense pas avoir rien vu de tel au cours de mes lectures. Mais je suis toujours frappée et étonnée, libertin rimant pour moi avec libre penseur, de voir à quel point les rôles et comportements des deux sexes sont codifiés dans le jeu de la séduction.
Tu étais dans le bon, Marie. D’après ce que j’ai lu dans les romans ou dans certains ouvrages critiques, on peut considérer que, dans les sociétés mondaines (en particulier dans leurs représentations romanesques ; la réalité était moins fortement codifiée que ne le laisse entendre certains romanciers), ce chemin était en effet jalonné d’étapes « obligatoires », constituant un modèle de base que suivaient les intervenants avec plus ou moins de petites variations. Cela permettait au début du siècle de se rapprocher dans les règles de la bienséance, en voilant la crudité des intentions. En suivant le « schéma » de la séduction et ses étapes, chacun des deux intervenants signalait à l’autre qu’il acceptait le jeu et sa finalité ; si un des deux intervenants ne répondait pas de la façon attendue, cela signifiait que la proposition était refusée, sans que l’autre n’ait à se sentir lésé publiquement : le refus n’était pas exprimé explicitement, pas plus que le désir. Dans les romans de la seconde moitié du siècle, les roués ont tendance à s’attaquer à d’autres femmes, qui ne participent pas à ce jeu de la mondanité, et prennent plaisir à les humilier ; le jeu n’est plus qu’à sens unique, et non à deux.
Comme je l’ai dit, cela ne se passait pas forcément de façon aussi stricte dans la réalité, mais ce « schéma » de la séduction existait bel et bien en tant que composante de la vie mondaine.
Merci pour ces éclaircissements !
Je te remercie aussi pour ces précisions. Je suis contente de voir que je suis encore loin d’avoir fait le tour de ce sujet qui me plaît bien!