Je suis tombée par hasard sur cet essai, lors d’une descente en librairie il y a quelques mois, et je n’ai pas pu résister à la curiosité de découvrir ce qu’il contenait.
L’auteur, indique le quatrième de couverture, est psychologue clinicienne, psychanalyste, docteur en psychopathologie et psychanalyse. Elle a également, dit-elle dans son introduction, vécu 3 ans au Japon. C’est en voyant, à son retour en France, les mangas pulluler dans les librairies qu’elle a eu l’idée d’allier ses deux centres d’intérêts en se penchant sur la question.
Ceux qui me lisent régulièrement se souviennent peut-être que, bien que n’y connaissant rien, j’ai un peu de mal avec ce qui touche à la psychanalyse. Tout en étant curieuse de savoir la façon dont Joëlle Nouhet-Roseman allait analyser les mangas, j’appréhendais un peu la lecture de cet ouvrage, et le fait est que je suis souvent restée assez perplexe. J’ai néanmoins pris plaisir à lire cet essai qui m’a beaucoup intéressée.
En effet, le livre contient plus d’informations sur les mangas que d’analyse de leur contenu à la lumière des théories freudiennes. Il se divise en deux parties. La première, qui vise à présenter les mangas, aborde leur apparition et leur réception en France, revient sur leur histoire, des origines au Moyen Age jusqu’à nos jours, et développe leurs principales caractéristiques. La seconde partie, consacrée à l’analyse des shôjo (mangas pour filles), comprend encore de nombreuses parties explicatives, sur des sujets variés allant de ce qui différencie, dans la forme, les shôjo des autres types de mangas à l’historique de la notion de kawaï, en passant par le théâtre traditionnel japonais.
Cet aspect culturel m’a passionnée. J’y ai appris pas mal de choses et j’ai relevé les références de plusieurs livres qui m’intéresseraient pour aller plus loin. Le seul reproche que j’aurais envie de faire à l’auteur, c’est que, lorsqu’elle parle d’un manga, elle ne peut s’empêcher d’en résumer toute l’histoire jusqu’au dénouement. Mieux vaut déjà le connaître ou ne pas avoir envie de le lire!
J’ai été surprise par le style du livre. En effet, j’appréhendais de peiner et de ne pas y comprendre grand chose. Au contraire, mis à part quelques pages un peu techniques, il est d’un abord très facile. Son écriture vivante et quelques traits d’humour le rendent même agréable à lire. Pour toutes ces raisons, mon ressenti après lecture est largement positif.
Néanmoins, comme je m’y attendais, je n’ai pas accroché à l’aspect analyse des mangas. Je me suis même sentie par moments assez mal à l’aise, car l’auteur interprète tout selon les écrits de Freud : l’intérêt pour les langues étrangères relève du sexuel, une passion pour la couture exprime la volonté de maîtriser un attribut féminin… J’ai l’impression à la lire qu’il n’y a rien que nous puissions faire qui ne relève d’un aspect de la sexualité infantile, voire d’une pathologie qui nécessite une thérapie, et c’est un sentiment que je trouve effrayant!
Par ailleurs, elle cite souvent des témoignages de jeunes lecteurs et lectrices de shôjo, auprès desquels elle dit avoir « effectué des entretiens de recherche clinique ». Je regrette que l’on ne sache pas combien de jeunes gens elle a reçus, dans quelles conditions et comment ils ont été choisis. Les extraits qu’elle rapporte semblent en effet des cas d’école. Si bien que je n’ai pas pu m’empêcher de me demander si elle a bâti ses théories autour de ce qu’elle a observé ou si elle a, au contraire, simplement retenu les témoignages qui allaient dans le sens de ce qu’elle voulait démontrer.
Pour autant, je ne rejette pas tout en bloc. Certains aspects m’ont intéressée, comme l’étude qu’elle fait des nombreux personnages androgynes ou qui changent de sexe au cours d’une série. Je serais par exemple curieuse de savoir quelle analyse elle fait de Princess Jellyfish, un manga dans lequel un garçon travesti en fille tente d’amener une bande de filles otakus à s’ouvrir au monde et à assumer leur féminité. Si le scénario d’un tel manga ne me semble pas innocent, passer automatiquement et exclusivement les mangas à la moulinette freudienne me semble excessif et réducteur, voire même pas nécessairement pertinent.
Ainsi, elle rappelle bien que l’engouement pour les yaoi (histoires d’amour entre garçons écrites par des filles et pour des filles) est souvent expliqué, tant par les mangakas que par les fans et par ceux qui ont étudié le sujet, par le fait que les lectrices sont tentées de s’identifier aux personnages féminins dans les shôjo, ce qui n’est pas forcément très satisfaisant, du fait des codes auxquels ceux-ci obéissent, alors que le yaoi leur permet de garder une certaine distance avec les personnages. Cependant, Joëlle Nouhet-Roseman en fait immédiatement abstraction pour développer le thème de l’hésitation bisexuelle des adolescentes, leur attirance pour la féminité, et la nécessité de dépasser cette phase pour assumer son sexe. Elle va encore plus loin, à l’occasion d’une évocation du manga Gravitation, dans lequel l’un des personnages principaux a tendance à rufoyer l’autre, et qu’elle interprète en termes de sadisme/masochisme. Les rêveries à caractère masochiste relevant, selon Freud, d’un refus de la sexualité génitale, la lecture de yaoi pourrait représenter une étape transitoire pour accéder à la sexualité génitale.
Néanmoins, cette codification de la relation amoureuse dans les yaoi en dominant/dominé (seme/uke) n’est qu’une transposition des shôjo classiques, le personnage féminin étant simplement remplacé par un personnage masculin. De plus, bien souvent, le personnage féminin des shôjo ne semble devoir aspirer à rien d’autre qu’à rencontrer l’amour et à se réaliser en devenant une bonne épouse et une bonne mère. Les personnages qui échappent le mieux aux codes du shôjo sont ceux, comme Princesse Saphir ou Lady Oscar qui, sous des vêtements masculins, peuvent connaître une existence bien plus intéressante. Mais l’auteur ne dit rien de ces codes, pourtant tout aussi stricts que ceux du yaoi, et ne semble pas s’y intéresser. Par ailleurs, elle rappelle combien le marché des mangas est segmenté, chaque série s’adressant à une catégorie de public précise. Aussi je m’étonne qu’elle mentionne simplement que les jeunes filles sont également très friandes de shônen (mangas pour garçons) sans chercher à aller plus loin, à comprendre cet attrait et à déterminer exactement ce qu’elles lisent.
Dans le même ordre d’idée, j’ai été un peu surprise qu’elle s’arrête au fait que la culture japonaise attire les français et que les mangas trouvent un écho en eux et soient compris par eux, sans s’interroger sur d’éventuelles différences culturelles et disparités de goûts et de réception. Il me semble étonnant que, pour analyser la psychologie des adolescentes françaises, elle s’appuie sur des mangas qui ne sont pas traduits en France. Ainsi, elle consacre tout un chapitre aux mangas d’horreur qui, dit-elle, attirent beaucoup les jeunes japonaises. Or, à ma connaissance, les mangas d’horreur qu’on peut trouver en France rentrent très majoritairement dans les catégories shônen ou seinen (mangas pour hommes adultes), je ne crois pas en avoir rencontré parmi les shôjo (mais ça peut être une lacune de ma part, étant donné que je m’intéresse peu aux shôjo). De la même façon, elle évoque l’attrait pour les relations plus ou moins incestueuses, notamment à travers un manga des Clamp. Néanmoins, je me demande là encore si ce qu’elle dit peut s’appliquer aux lecteurs français de mangas autant qu’aux lecteurs japonais. Les remous provoqués auprès des lecteurs français par la fin de la série Un drôle de père, qui flirte avec l’inceste avant de s’en débarrasser par une pirouette, m’incitent à me demander si ce dénouement a reçu une réception identique au Japon ou si la réaction du public français est propre à nos moeurs occidentales, et, plus largement, si l’inceste est si acceptable que ça en France.
Pour toutes ces raisons, j’ai eu le sentiment que ses recherches auraient pu être plus creusées et je me suis demandée si elle s’était appuyée sur des lectures de mangas et témoignages pour illustrer ses théories ou si elle avait construit ces dernières à partir de l’analyse des données qu’elle a pu rassembler. La lecture de cet essai, bien construit et d’un accès facile, est néanmoins intéressante et instructive pour qui s’intéresse aux mangas.
Les mangas pour jeunes filles, figures du sexuel à l’adolescence
Joëlle Nouhet-Roseman
Editions érès
Collection La vie devant eux
Je ne connais strictement rien à l’univers du manga, donc je ne crois pas que ça me passionnerait…
Ca peut être un moyen d’avoir une première approche. Mais je pense qu’il est mieux d’aborder le livre en ayant déjà une connaissance du sujet.
Roseman!! je l’ai eu en cours! elle est super sympa, j’étais même allé voir sa soutenance de thèse dont ce livre est tiré. Mais effectivement, je n’ai pas acheté ce livre, alors que contrairement à toi, j’ai tendance à dévorer ce qui se rapporte à la psychanalyse (exception faite de certains lacaniens, et Jungiens aussi) mais je suis moins intéressé que toi par les mangas (je me rappelle juste de Death note que j’ai bien aimé)
Ah, c’est amusant! Et j’ignorais que ce livre avait pour origine une thèse. J’ai adoré Death Note! Surtout la première partie.