J’avais eu l’occasion, il y a quelques mois, de vous faire part de mon enthousiasme à propos du recueil de nouvelles Pertes de maîtrise. J’ai donc accepté avec empressement quand son auteur, Josselin Manoury, m’a proposé de recevoir ce deuxième recueil.
Celui-ci se compose de sept nouvelles d’une vingtaine de pages chacune, trois d’entre elles constituant les différents chapitres d’une même histoire. Toutes abordent le même thème : une rencontre entre un homme et une femme. Il ne s’agit pas ici de rencontres purement charnelles sans lendemain, mais de tendresse et de sensibilité. Chacune constitue le point de départ d’une histoire d’amour ou donne une nouvelle impulsion aux personnages. Une autre thématique commune aux nouvelles est celle de la brocante, activité exercée par les personnages masculins de plusieurs des nouvelles.
Ce registre sensible convient très bien à l’auteur qui le manie à merveille. Au risque de me répéter, j’apprécie beaucoup son écriture précise et élégante et la finesse avec laquelle il analyse les hommes et les choses. Les rencontres qu’il met en scène sont à la fois banales et improbables, mais il a l’art de les rendre intéressantes et de les traiter de façon originale. J’aime également l »humour dont ses récits sont empreints, ainsi que sa capacité à créer des univers chaque fois différents qui lui fournissent matière à instruire son lecteur, chose appréciable mais assez rare dans le domaine de la littérature érotique!
Cette richesse du récit m’a néanmoins semblé nuire quelque peu à l’érotisme de la première nouvelle, Douanière zen. Un brocanteur s’y fait arrêter à la frontière suisse par des douaniers, qui le soupçonnent de vouloir frauder avec le matériel qui lui sert à pratiquer le tir à l’arc japonais. Pour prouver qu’il s’agit de possessions personnelles et non de marchandises destinées à la vente, il se voit contraint de faire une démonstration de son art à une jeune douanière. J’ai été très intéressée par ce que j’ai appris de cette discipline dont j’ignorais tout et ai apprécié la beauté du récit, mais j’ai eu le sentiment de rester en dehors, un peu comme lorsqu’on admire une belle maison décorée avec goût mais qu’on ne pourrait pas s’y mettre à l’aise.
Je n’ai heureusement pas eu la même sensation en lisant Cynorhodon, nouvelle dans laquelle on apprend tous les usages, pour certains assez inattendus, que l’on peut faire de ce fruit. Ce texte, qui m’a plu par sa simplicité et sa fraîcheur, devient rapidement assez torride. Le seul petit bémol serait la chute, qui m’a laissée perplexe.
J’ai, en revanche, aimé sans aucune réserve Trieur de souvenirs. Cette fois encore, le personnage masculin est un brocanteur, mais d’un genre un peu particulier, car son travail consiste à trier les effets personnels d’un défunt, à en dégager la personnalité du mort et à déterminer les informations et objets à restituer aux vivants. Dans le récit, une veuve le charge de trier les affaires de son mari. Le concept de trieur de souvenirs (je doute que le métier existe réellement) m’a, dans un premier temps, paru très séduisant. Puis j’ai commencé à y voir des inconvénients, me poser des questions, et, au final, le thème m’a poursuivi longtemps après que j’ai refermé le livre et ne m’a même pas tout à fait quittée. Et ça, ça m’a bien plu! Et cette fois, mes réflexions n’ont pas nui à la sensualité du texte, que j’ai trouvé sobre mais efficace sur cet aspect. De ce fait, c’est ma nouvelle préférée du recueil avec Faites les mots, pas l’amer.
Dans ette dernière, un homme part dans un hôtel au soleil pour travailler tranquillement (Admettons… Moi aussi, j’aimerais bien en faire autant!). Il y tombe sous le charme d’une femme qui n’a pas l’air très heureuse en couple et qui lui demande de lui « faire les mots ». Cette histoire très simple et ordinaire m’a touché de par la sensibilité et les émotions qui s’en dégagent, et en raison de la place accordée aux mots et de l’usage qui est fait d’eux.
Dans Sexe, chocolat et autres mésusages, enfin, une rencontre fortuite dans un bar bouleverse la vie d’un homme. Cette longue histoire se découpe en trois parties, dont j’ai moins aimé la deuxième, moins en raison de son manque d’originalité, car j’ai néanmoins bien aimé que l’auteur mette en scène une rencontre sexuelle qui vire à l’échec, que parce qu’elle ne correspondait pas à ce que j’avais envie de lire comme suite. La nouvelle est un peu déroutante, du fait du personnage féminin, dont j’ai bien aimé la personnalité et surtout sa capacité à faire « d’un rien […] un grand soir ». Celle-ci est partagée entre son envie de vivre une histoire qui durerait toute la vie et la peur de voir mourir le désir de l’autre. Elle se donne donc totalement en toute simplicité puis se fait insaisissable l’instant d’après. J’ai donc été étonnée et amusée de faire des liens entre ce récit et L’intelligence érotique, dont j’ai trouvé ici l’illustration de certains thèmes de réflexion. Sexe, chocolat et autres mésusages est à la fois très tendre et plein d’émotions et très charnel, il mêle simplicité et naturel et originalité et raffinement, offrant une parfaite illustration de ce qu’est la sensualité dans une mise en scène faisant appel à chacun des sens.
Il est un dernier point, que j’aimerais souligner. Je ronchonne régulièrement contre les fautes qu’on retrouve de plus en plus fréquemment dans les livres, et contre la négligence des maisons d’édition sur ce sujet. Je l’ai encore fait ce week-end à propos d’une bande dessinée qui dépassait tout ce que j’avais pu voir jusque-là en matière de manque de professionnalisme. Or je n’ai rien relevé de tel dans ce recueil, alors que, d’après ce que j’ai cru comprendre, The Book edition se contente d’imprimer les textes qu’on lui confie sans effectuer de travail d’édition dessus. C’est un détail, certes, mais auquel je suis sensible!
Les ouvrages de Josselin Manoury sont disponible en fomat électronique ou papier ici.
« Cette richesse du récit m’a néanmoins semblé nuire quelque peu à l’érotisme de la première nouvelle » : ça pour moi ce serait plutôt un bon point, l’idée d’un érotisme parmi d’autres choses m’attire pluss qu’un récit seulement érotique.
Ce qui m’a gênée dans cette nouvelle, c’est que je me suis sentie comme tenue à distance par le contexte. Dans les autres nouvelles en revanche, le fait qu’il y ait autre chose en plus de l’érotisme fonctionne très bien. Et pour moi aussi ça constitue plutôt un bon point.
Ah ça me dit bien, j’en ai un peu marre de l’érotisme qui se contente d’être du sport sans tendresse !
Alors, n’hésite pas!