Michel Dorais est un chercheur, spécialisé en sociologie de la sexualité. Aussi je m’attendais à ce que ce petit essai soit plus scientifique, qu’il s’appuie sur des études, indique les références de ses sources, creuse les thèmes abordés. L’ouvrage est, au contraire, dépourvu de tout cela. Il s’adresse à un large public et est aisément accessible au commun des mortels. C’est une qualité, et en même temps un défaut, car ses propos, dans leur simplicité, ont un faux air de discussion de café du Commerce. Je suis peut-être un peu sévère en écrivant cela, car les idées qu’il développe sont intéressantes et offrent matière à s’interroger sur soi-même. Mais je reste néanmoins sur ma faim, parce que le fait qu’il affirme sans justifier ce sur quoi il s’appuie, mis à part le bon sens, enlève de la force à son propos et parce que, en refermant le livre, je n’ai pas l’impression d’avoir appris grand chose.
Ce petit essai s’intéresse à la façon dont fonctionne l’attraction sexuelle, et donc à l’érotisation. Celle-ci est un processus actif. Elle consiste en effet à construire une mise en scène faisant appel aux cinq sens. L’érotisme est ainsi une forme d’art, puisqu’il repose sur l’imagination et la créativité de chacun. L’érotisation est un processus complexe qui met en jeu des mécanismes et sentiments contradictoires.
Ainsi, la détermination de ce que nous percevons comme érotique nous échappe dans une certaine mesure. Nous sommes influencés, de façon plus ou moins importante, mais au moins un minimum, par certains éléments des cultures et sous-cultures dans lesquelles nous vivons, que cette influence se traduise par une adhésion ou un rejet desdits éléments. Nous sommes également influencés par nos premiers émois sexuels, qui surviennent par hasard, et, de façon plus large, par notre vécu :
« Les frustrations émotives et les traumatismes affectifs de l’enfance, de l’adolescence puis de l’âge adulte conditionnent grandement les élans amoureux ou sexuels de chaque individu. En recherchant des situations ou des personnes susceptibles de calmer ou de compenser ses désarrois antérieurs, il essaie de réécrire le passé ou, mieux encore, de l’exorciser. »
Nous conservons cependant dans le même temps une bonne part de libre-arbitre. Si notre environnement et notre vécu nous poussent à être plutôt attirés par un certain type de personne, le choix des partenaires et des activités pratiquées avec ceux-ci nous appartient totalement. Par ailleurs, le processus d’érotisation est propre à la sensibilité de chaque personne : presque tout peut être perçu comme érotique mais chacun a sa propre conception de ce qui est érotique ou pas.
L’érotisme est attisé par le mystère. Il repose sur la suggestion, le désir. C’est une promesse. Nous sommes donc à la fois attirés par les personnes qui nous semblent les plus opposées à nous-mêmes, que ce soit par leur race, leur sexe, leur personnalité…, cette opposition les rendant mystérieuses et, en conséquence, attractives, et par ce qui nous semble interdit. L’objet du désir doit être suffisamment hors de portée, car le désir s’éteint s’il est satisfait, mais pas inatteignable car un excès de frustration est tout aussi fatal au désir : il est bon qu’il y ait des obstacles à surmonter mais ceux-ci ne doivent pas être insurmontables.
L’amour, qui implique la sécurité et le partage au quotidien avec l’être aimé, est assez difficilement compatible avec la préservation d’une certaine part de mystère. De ce fait, la cohabitation entre le désir et l’amour s’avère délicate. Les aventures extra-conjugales ont le goût de l’interdit et
« L’infidélité ou plus précisément la non-exclusivité s’expliquent souvent du fait que la relation avec l’Autre est devenue sans surprise, sans défi, sans faculté d’étonnement. »
Pourtant, en même temps que nous recherchons ce qui nous est étranger, nous sommes également en quête de ce qui nous est complémentaire. Le terme complémentaire est ici entendu dans le sens de ce qui nous permettrait d’être complets. C’est donc ce dont nous estimons manquer, avoir en quantité insuffisante. Ce n’est pas nécessairement ce que nous n’avons pas. Une personne peut par conséquent devenir objet de désir si nous croyons qu’elle a ce qui nous manque. L’apparence, le rôle joué sont donc des éléments importants, d’où la place occupée par les jeux de rôles dans l’imaginaire érotique. Le revers de la médaille est qu’on s’expose à de possibles déconvenues si le partenaire n’a pas les qualités qu’on lui a prêtées ou si notre perception de ce qui nous manque évolue avec le temps, l’autre perdant de son intérêt avec la disparition de notre sensation de manque.
Dans une certaine mesure, nous avons tendance à déshumaniser les personnes désirées, dans la mesure où leur corps devient un objet dans notre imaginaire (attraction pour une certaine partie de l’anatomie d’une personne, par exemple). Cet aspect permet à l’auteur de faire remarquer l’opposition qui existe entre l’érotisme qui, est comme dit plus haut, tout en suggestion, et la pornographie, qui chosifie les personnes en les réduisant à leur génitalité, qui vise à exhiber le plus possible et ne laisse rien à l’imagination.
Mais, en parallèle à cette déshumanisation, nous éprouvons souvent de l’empathie à l’égard des personnes que nous érotisons, en raison de plusieurs facteurs, tels que l’importance d’une communion psychique venant s’ajouter à la communion des corps, le fait que notre plaisir s’accroît de celui de l’autre, ou celui que notre sexualité s’enrichit de ce que nous apprenons des pratiques des autres.
De ce fait, l’émoi érotique est perçu comme une révélation : révélation de soi, un individu ayant tendance à se croire défini par ses désirs, révélation de l’autre et révélation du plaisir.
Je me suis bornée à vous livrer une synthèse de ce que j’ai retenu de l’essai sans porter de jugement sur le fond. Il se trouve que j’ai été très souvent d’accord avec lui. Cependant je ne l’ai pas forcément trouvé très convaincant dans ses affirmations. Par exemple, au tout début du livre il écrit :
« Si les humains étaient, tels des zombies, téléguidés ou leurs gènes, on serait attiré par toutes les personnes d’un sexe ou de l’autre. »
Pour lui, le fait que nous soyons attirés par certaines personnes et pas d’autres, et que nos attirances soient différentes de celles du voisin est la preuve de notre libre arbitre et du caractère réfléchi de notre démarche. Mais quelqu’un qui soutient la thèse que nous sommes soumis à nos gênes / hormones / … ne pourrait-il pas lui répondre que notre instinct de mammifères nous pousse à sélectionner les partenaires qui nous semblent les plus propices à la perpétuation de l’espèce et que donc ça ne prouve rien?
J’en reviens là à ce que je regrettais plus haut à propos du manque de justification et d’argumentation. Il y aurait largement eu matière à faire quelque chose de plus solide et approfondi.
De ce fait, sa lecture ne me paraît pas indispensable, c’est pourquoi je vous ai livré une longue synthèse afin de vous donner un aperçu du contenu. Les thèmes abordés sont cependant plus nombreux que ça et, pour ne pas tout dévoiler quand même, si certains se sentent inspirés par ce petit livre, je n’ai pas fait mention de certains développements et réflexions qui m’ont paru intéressants.
Si je reste sur une impression mitigée, j’ai cependant envie d’essayer un autre de ses livres, pour me faire une meilleure idée. Il a notamment beaucoup travaillé sur la prostitution, qui est un sujet que j’aimerais aborder ici… un jour… quand je trouverai le temps!
Petit traité de l’érotisme
Michel Dorais
VLB Editeur
Marie,
Les citations que tu présentes ici me font à priori partager ton avis.
Voyons donc si il arrive à être plus surprenant sur la prostitution…
J’ai du mal à comprendre le passage suivant :
« Dans une certaine mesure, nous avons tendance à déshumaniser les personnes désirées, dans la mesure où leur corps devient un objet dans notre imaginaire (attraction pour une certaine partie de l’anatomie d’une personne, par exemple) ».
Est-ce simplement un cas particulier, ou est-ce pour lui une tendance de fond ?
J’ai eu beaucoup de mal à faire une synthèse qui soit … synthétique et à peu près claire. Du coup, je me suis rendu compte à la fin que mon billet était truffé de fautes d’orthographe. J’espère ne pas en avoir laissé passer trop!
Bref… Ce qu’il dit, c’est que nous avons tendance à identifier – et réduire – les individus (et nous-mêmes) à leur corps. D’autre part, nous avons tendance à focaliser sur certaines parties du corps de la personne désirée, qui en viennent à la symboliser. Pour lui, ce processus d’objetisation, qu’il considère à la limite de l’érotisme et de la pornographie, est souvent ce qui crée en nous l’émoi érotique. Donc, oui, c’est une tendance de fond.
Selon lui, ce processus nous permet de contrôler la situation dans nos fantasmes, que nous mettons, de ce fait, en scène comme nous voulons, ce qui les rend plus efficaces.
« d’autre part, nous avons tendance à focaliser sur certaines parties du corps de la personne désirée, qui en viennent à la symboliser. Ce processus d’objetisation, est souvent ce qui crée en nous l’émoi érotique. »
l’hyopothèse est séduisante. Surtout qu’elle implique son inverse, si douloureusement vrai, à savoir le risque qu’un jour ou l’autre, si la relation n’évolue pas, l’émoi se transforme en dégoût, signant la fin brutale du désir et trop souvent d’un amour construit sur une base si fragile.
Oui, tout à fait. Il évoque aussi cet inverse, qui découle effectivement de ce processus qu’il décrit.
Ce qui est amusant, c’est que le livre que je lis actuellement par de ces constats qu’il fait, que le désir et la sécurité (donc l’amour) peuvent être difficilement compatibles. Je suis curieuse de voir ce que l’auteur propose pour y remédier.
[…] son Petit traité de l’érotisme, Michel Dorais faisait le constat que l’amour n’est pas facilement compatible avec le […]