Une fois n’est pas coutume, je vais vous parler aujourd’hui d’un recueil de nouvelles qui n’a pas été traduit en français. L’auteur, Oniroku Dan, qui est décédé en mai dernier, était un maître du roman SM au Japon, et beaucoup de ses récits ont été adaptés en films. C’est d’ailleurs dans une critique du film Flower and snake que j’ai lu son nom pour la première fois. Ce film de 1974, réalisé par Masaru Konuma avec comme actrice principale Naomi Tani (il est disponible en France depuis 2008 sous le nom de Fleur secrète – une analyse du film ici) est adapté d’un roman d’Oniroku Dan et valut à celui-ci la célébrité. Flower and snake a, beaucoup plus récemment, fait l’objet d’une seconde adaptation apparemment nettement moins impérissable et a même été adapté en anime. Comme je ne suis pas du tout branchée films érotiques (il n’est pas impossible cependant que je jette un oeil, voire même les deux, à l’anime un de ces jours), j’ai voulu plutôt lire ce qu’il avait écrit. Malheureusement je n’ai absolument rien pu trouver en français et ce recueil est apparemment tout ce qu’il y a de disponible en anglais.
Season of infidelity regroupe 4 nouvelles, publiées initialement en 1997, bien après que l’auteur, principalement actif dans les années 70s et 80s, se soit arrêté d’écrire des histoires érotiques pour se tourner vers d’autres activités. Il a cependant publié une autobiographie qui a connu un tel succès qu’il a persévéré en écrivant ces nouvelles, qui sont basées sur un fond autobiographique. Cependant, comme l’indique le sous-titre du livre (« BDSM tales »), il s’agit de contes et leur auteur semble avoir pris pas mal de libertés avec sa propre histoire, bouleversant la chronologie, arrangeant les événements ou même inventant. Ce qui est amusant, c’est qu’il se cantonne principalement dans ces nouvelles à un rôle de voyeur, de témoin, et ne se peint pas forcément sous un jour flatteur. Avant d’aller plus loin, je vais tout de même dire quelques mots de chacune des nouvelles :
– Season of infidelity : L’auteur y raconte une liaison adultère de sa femme (causée à l’origine par sa propre infidélité!) qui aboutit à leur divorce mais lui fit découvrir une facette des goûts sexuels de son épouse qu’il ne connaissait pas.
– Pretty boy : Revoyant un ami de jeunesse qui est sur le point de mourir, l’auteur égrène avec lui leurs souvenirs d’étudiants, et en particulier le viol perpétré par cet ami sur la personne d’un jeune homme avec qui le narrateur avait vécu une relation amoureuse.
– Deer park : La nouvelle tire son nom d’un club SM que l’auteur a voulu fonder chez lui, inspiré par le 18e siècle français et le Parc aux cerfs du roi Louis XV. Il explique ses motivations en faisant preuve d’une connaissance de la biographie et de la philosophie de Sade ainsi que, plus généralement, de la société française du 18e siècle, que je qualifierais de superficielle pour rester gentille. Cependant son projet de club se heurte à un obstacle de taille : les membres sont uniquement des hommes. Autre problème : l’auteur éprouve une forte attirance pour la maîtresse d’un de ses amis.
– Bewitching bloom : Dans cette dernière nouvelle, Oniroku Dan parle de ses années de collaboration avec les studios Nikkatsu Roman Porno, ainsi que des actrices qu’il a cotoyées, et en particulier de son amitié avec Naomi Tani.
L’auteur ne s’appesantit pas sur les scènes érotiques qui s’insèrent naturellement dans son récit et les pratiques mises en scènes sont assez soft. L’esprit est néanmoins assez pervers et je me suis sentie gênée par les deux premières nouvelles. Dans Season of infidelity, il raconte ce que lui a fait éprouver le compte-rendu des ébats de son épouse avec son amant (réel ou imaginaire?) et place ainsi le lecteur en position de voyeur. Quant à Pretty boy, comme je l’ai indiqué plus haut, il y est question d’un viol. Mais il ne s’agit pas ici d’une description fantasmée, où la victime finit par prendre du plaisir, comme c’est souvent le cas dans les histoires érotiques. Le viol est ici très réaliste et purement sadique, dans la mesure où il a uniquement pour but d’humilier et de blesser moralement la victime, si bien que je me suis sentie relativement mal à l’aise en lisant ces pages.
Abstraction faite de ces réserves, c’est néanmoins une lecture que j’ai beaucoup appréciée car j’ai été intéressée. La narration est fluide et agréable et pas du tout ennuyeuse ou répétitive et le recueil s’avère même assez instructif, du faut que l’auteur y évoque nombre de sujets très variés sur lesquels il m’a donné envie d’en apprendre plus, tels que, par exemple, la danse et le théâtre traditionnels, la fabrication de poupées ou, évidemment, le monde du porno.
Il parle aussi beaucoup de vêtements féminins et, en particulier, de kimono. On le sent fasciné par la beauté féminine, une beauté qui, à ses yeux, se doit d’être alliée à l’élégance et à la distinction. Cela le conduit à parler de l’écriture. Il explique que les histoires qu’il a écrites pour des films lui étaient souvent inspirés par la beauté d’une femme, et notamment celle de Naomi Tani, qui lui donnait envie de la mettre en scène dans des situations où elle était attachée. Il est en effet apparemment beaucoup question de femmes bondagées et torturées dans ses histoires. Il adaptait le rôle à la personnalité et au genre de beauté de l’actrice.
Je n’ai donc pas été étonnée de le voir se plaindre que l’industrie moderne du porno ne cherche à montrer que du sexe sans s’inquiéter de bâtir un scénario et de construire des personnages.
« Nikkatsu Roman Porno was established in 1971 and went dark in 1986, producing films for just fifteen years before disappearing from the face of the earth. Its demise was brought about in part by the managers at Nikkatsu ignoring profitability in favor of expanding business operations, but also by the advent of VCRs and adult videos revolutionizing the pornography business. Adult videos, or AVs, tended to ignore things like « plot » and « character development » and instead focused solely on men and women getting it on. At the farewell party forRoman Porno, the directors laughed bitterly, saying that the demise of their production company was like the forces of evil porn causing the fall of good, high-quality erotic films. »
Contrairement aux clichés, il explique que les actrices de son époque ne faisaient pas du porno par vocation mais simplement parce qu’elles avaient échoué dans la « filière normale ». Aussi, elles voulaient des rôles avec beaucoup de texte et leur offrant la possibilité de déployer leurs talents d’actrices, dans l’espoir que ça leur permette d’évoluer vers des films non-érotiques. La seule exception était Naomi Tani qui ne voulait être rien d’autre qu’une star du porno. Mais aucune de ces femmes, y compris Naomi Tani, n’avait d’inclination particulière pour le BDSM et le bondage. Elles faisaient simplement leur travail de leur mieux et Oniroku Dan voit dans leur capacité à faire croire qu’elles avaient du goût pour les sévices qu’on leur faisait subir à l’écran la démonstration de leur talent.
Même s’il faut visiblement faire pas mal le tri entre la réalité et la fiction dans ces nouvelles, j’ai été bien intéressée par ma lecture et j’aimerais pouvoir lire certaines de ses histoires. Malheureusement mes possibilités pour cela se limitent visiblement à surveiller les libraires anglo-saxons ou à me mettre au japonais…
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