L’histoire des Malheurs de Janice est assez étonnante. Selon le récit fait par son auteur, le projet aurait pour origine une commande passée par un italien. Celui-ci, qui appréciait les publications d’Erich von Götha dans la revue érotique anglaise Torrid, lui écrivit afin de demander à l’artiste d’illustrer un scénario qu’il comptait écrire et publier. L’entreprise s’étendit sur un certain laps de temps, les pages de scénario et le règlement correspondant arrivant au gré des possibilités du commanditaire. Ce dernier, ayant connu de sérieux problèmes financiers au début des années 80s, abandonna l’idée de publier la bande dessinée issue de cette collaboration, et laissa Erich von Götha libre de trouver un éditeur, et de garder pour lui les droits d’auteur. Erich von Götha n’entendit plus jamais parler de lui, et ne parvint pas à le retrouver, en dépit de ses recherches.
L’histoire aurait pu s’arrêter là. Mais l’intervention d’un éditeur français qui s’intéressait au travail du britannique permit à Janice de sortir des cartons. C’est ainsi que la première partie des Malheurs de Janice fut publiée en 1987. Erich von Götha écrivit la seconde partie seul. Comme il traînait un peu pour s’atteler à l’écriture de la troisième partie, s’étant lancé entre temps dans l’écriture de Prison très spéciale, son éditeur lui adjoignit Bernard Joubert comme scénariste. Les troisième et quatrième parties sont donc le fruit de la collaboration des deux hommes.
L’ensemble des quatre parties a fait l’objet d’une nouvelle édition, avec une nouvelle traduction, l’année dernière. Cette intégrale est divisée en deux albums, regroupant l’un les deux premières parties, et l’autre les deux dernières. C’est donc le premier de ces deux albums que j’ai.
Janice est une jeune femme anglaise vivant au 18ème siècle, qui a été condamnée à la prison à perpétuité pour avoir avorté. Elle est choisie pour être confiée au vicomte Vauxhall qui a obtenu du ministère de la Justice l’autorisation d’ « expérimenter la réhabilitation de criminelles ». Sous couvert de réhabilitation, Vauxhall se procure en fait des esclaves sexuelles qu’il soumet à ses désirs et ceux de ses ami(e)s. Voilà grosso modo le résumé de la première partie. Je me bornerai à dire que la deuxième (et apparemment les deux suivantes) sont remplies de péripéties abracadabrantes et que la pauvre Janice est loin d’être au bout de ses peines! Se rendant à Venise, elle rencontrera même Sade, dont les romans semblent avoir inspiré les mésaventures de Janice.
Si Janice ressemble à s’y méprendre à Twenty, le style de dessin m’a néanmoins paru assez différent entre les deux BDs, à l’avantage des Malheurs de Janice. Cela tient d’une part au fait qu’il y a très peu de couleurs, ce qu’Erich von Götha explique ainsi :
« J’ai dessiné ce Janice pour le noir et blanc, mais en utilisant des gris qui n’avaient pas le noir pour base. Quand M. Roc qui présenta l’histoire aux éditions CAP a vu mes planches, il a immédiatement décidé qu’elles devaient être réimprimées en couleurs. Pour l’album suivant [donc Janice 2], j’ai ajouté une teinte supplémentaire afin que les peaux soient plus sensuelles et mettent en évidence la brillance de la sueur et des sécrétions sexuelles… et cela, je le sais, m’a gagné des lectrices. »
Les deux premières parties sont à dominante sépia. Les quelques autres couleurs sont assez neutres et discrètes, mis à part un rouge éclatant utilisé en certaines occasions. Ce choix de couleurs, très joli, m’évoque les dessins du 18e siècle et s’harmonise, je trouve, plutôt bien avec l’histoire. Par ailleurs les dessins m’ont semblé plus soignés que ceux de Twenty. Les décors sont souvent riches et travaillés et je n’ai pas eu ce sentiment de bâclage que j’avais ressenti à certaines pages de Twenty. Toutefois, mon oeil a encore été attiré par quelques jambes à la morphologie étrange et certains costumes m’ont paru assez délirants, tout comme les dimensions des attributs de beaucoup de personnages masculins…
Là où je coince, comme pour Twenty, c’est sur le fond. Erich von Götha, dans une interview figurant dans l’album Twenty 1+2, s’exprime ainsi à propos du scénario de la première partie .
« Mon rôle s’est borné à l’illustrer et j’ai moi aussi été surpris, la première fois que j’ai lu l’histoire, par la soudaineté de sa conclusion. »
Et, un peu plus loin :
« Pendant la réalisation du tome 1, j’avais discuté par courrier avec mon commanditaire et lui avais fait part de mes doutes concernant l’histoire. Mais, finalement, cet album a été un grand succès public et je reconnais que j’avais tort. Cependant, pour le tome 2, j’ai voulu élaborer une histoire plus complexe. J’aime à penser que j’ai réussi… »
Certes, la fin de la première partie est plutôt abrupte (peut-être est-ce dû aux circonstances de la rédaction du scénario). Cependant, dans son ensemble, ce tome 1 se tient à peu près… alors que le suivant est une suite de rebondissements qui ne tiennent pas debout. La psychologie des personnages est inexistante. On n’y croit pas une seconde. Bon… c’est vrai qu’on n’y croit pas trop dans le premier tome non plus. Les compagnes de Janice chez Vauxhall me donnent l’impression d’une bande de pensionnaires en vacances. De temps en temps, l’auteur semble se rappeler que son héroïne n’a pas tout à fait choisi son sort et qu’elle aurait peut-être pu en espérer un plus enviable. Il lui prête alors un visage ou des propos horrifiés, que son corps dément dans le même temps. Personnellement, ça me donne plus envie de rire que quoi que ce soit d’autre.
Il y a des pages intéressantes, c’est indéniable, mais je déplore encore qu’une bonne partie de l’album se résume à des scènes d’orgies et des enchaînements de positions sans grande originalité. Pire, l’histoire semble souvent n’être qu’un prétexte et certaines pages pourraient quasiment être interchangeables avec des pages de Twenty. J’ai préféré de loin la première partie, plus cohérente, et dans laquelle le scénario prend le temps de laisser les scènes se développer (même si je me serais très volontiers passée de celle avec le chien…). Je qualifierais la seconde de plus fouillis plutôt que plus complexe : les événements et scènes de sexe s’y enchaînent à un rythme échevelé. C’est beaucoup trop rapide pour moi. Et puis, comme je l’ai dit dans mon billet sur Twenty, si je ne crois pas à l’histoire, je n’arrive pas à rentrer dedans. Ce qui fait que, en dépit des sujets plutôt inspirants et de la beauté des dessins, je reste mitigée à propos d’Erich von Götha, du fait de la faiblesse du scénario et de l’absence de dimension psychologique. Même s’il n’a fait qu’illustrer les troisième et quatrième parties de Janice, je ne me sens pas motivée pour lire la suite. Je pense plutôt que je vais en rester là avec cet auteur.
Les malheurs de Janice 1+2
Erich von Götha
Dynamite
Réservé aux adultes
Bonsoir,
Le Hangar est une communauté littéraire et artistique qui a pour but de réunir des lecteurs, des amateurs d’art et des artistes à travers les différents articles postés sur le site où se mêlent critiques littéraires, cinématographiques, musicales mais aussi – et surtout ! – vos créations : des poèmes, des nouvelles, mais aussi des séries de photos, des peintures, ou des articles où vous souhaitez partager ce que vous faites.
Nous organisons également des concours littéraires et artistiques avec des lots à la clé. En somme, Le Hangar est une véritable plateforme de partage et de découvertes dans laquelle nous souhaitons vous compter parmi nous. Venez nous visiter, http://le-hangar.com
Cordialement,
Hazel du Hangar.